MARTINEAU, Philippe - Paroles d’eau.

MARTINEAU, Philippe - Paroles d’eau.

Ce qu’on entend br quand l’image de Narcisse br prend conscience d’elle-même br et s’adresse à lui. br br br Je ne suis qu’un reflet, br entre ta soif et l’onde, br et pourtant je te plais : br je suis ton autre monde. br br Ô Narcisse, ma blême br et insondable face br est celle que tu aimes ! br quoi que toute autre fasse. br br Avant ce jeu courtois br je n’avais aucun sens ; br voilà que grâce à toi br j’affleure la conscience. br br Je m’étais inconnu br avant cette journée br et dois à ta venue br d’être enfin dessiné. br br Avant ce jour de mai br je n’avais aucun trait br et voilà désormais br que je suis ton portrait. br br Les nymphéas qui posent, br les nuages, le ciel, br notre vie : tout compose br cette jeune aquarelle. br br Ce songe à la surface br ne craint pas le soleil br mais qu’un soir ne l’efface br ou qu’un vent ne l’effraye. br br Surtout, reste à genoux br et résiste au sommeil, br car ce rêve entre nous br ne vit que de ta veille. br br Surtout, demeure encore, br penché comme un roseau, br faute de quoi mon corps br sera la proie des eaux. br br N’abandonne jamais br les rives de l’amour, br car si rien ne m’aimait br j’aurais trop de mes jours. br br Je ressemblais au fond br avant de t’émouvoir, br et si la glace fond br c’est que tu veux me boire... br br Ô Narcisse, ô moi-même, br le plus lourd de nos fronts br en touchant le plus blême br a fait naître des ronds... br br Car à peine on m’effleure br qu’on défigure l’onde. br Faut-il qu’au moindre heurt br tant de rides répondent ? br br Faut-il que mon jumeau br ne voit plus que mon trouble ! br J’aime mieux mille maux br que d’aveugler mon double. br br Ô Narcisse, ô moi-même, br seul en haut, seul en bas... br tout est devenu blême br depuis que tu tombas. br br À quoi sert que l’on soit br composé de deux êtres br si –aussi près de soi – br on ne peut se connaître ? br br Mais tu ne réponds pas. br Même l’écho, moqueur, br ne renvoie que le pas br ralenti de mon cœur. br br Ton silence insinue br que s’est dissout le charme br et que les rives, nues, br n’étreignent que nos larmes. br br 2011 (revu en 2013) br br ‘Narcisse parle’, ‘Fragments du Narcisse’ br et ‘Cantate du Narcisse’ : Reflet et Pureté. br br Comment ne pas penser, comme l’auteur de ‘Paroles d’eau’, br à la place qu’occupe le mythe de Narcisse br dans la poésie de Paul Valéry, comme recherche de la pureté. br br Narcisse aspire à la pureté br par cet amour désespéré br du reflet intouchable de sa propre image. br Idéal séduisant et fragile, br en raison de cette division au sein du moi, br entre le moi, défini et soumis au temps, br et la conscience pure. br br Une passion. br Un chagrin douloureux, br car l’objet de son désir est condamné br à sombrer et à disparaître dans la nuit. br br Illustration : ‘Echo and Narcissus’ (détail), br John William Waterhouse, 1903.


User: Gilles-Claude Thériault

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Uploaded: 2014-10-05

Duration: 04:00

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