Train de nuit - Jean Joubert

Train de nuit - Jean Joubert

Train de nuit br Je voyageais de nuit dans un pays sauvage. Le train peinait br et soufflait entre les montagnes sombres, sous un ciel sans br étoiles. Le compartiment dans lequel je m'étais installé, la br veille au soir, était désert, comme d'ailleurs, semblait-il, le br wagon où je n'avais perçu nulle présence, et peut-être, me br disais-je, non sans inquiétude, tout le train. br Après avoir, pendant quelque temps, contemplé par la br fenêtre une succession monotone de gorges, de rocs et de br forêts obscures, j'avais fini par m'endormir. J'avais alors rêvé br qu'un oiseau, couleur de sang, après avoir longuement plané br dans le ciel, venait se poser sur mon épaule, tandis qu'en face br de moi un homme, si semblable que je l'avais d'abord pris br pour mon reflet dans un miroir, et portant lui aussi sur son br épaule le même oiseau, m'ordonnait, avec un affreux rictus, br de « choisir sous peine de mort entre corbeau et beau corps ». br Réveillé en sursaut, je vis que le train était maintenant br immobile, dans ce qui ressemblait à une gare où personne ne br montait, ne descendait, et que nul panneau ne me permettait br d'identifier. Dans la nuit et le silence, tout paraissait s'être figé br hors du temps. br Puis un convoi vint se ranger contre le nôtre, et, tournant la br tête, j'aperçus aussitôt, par la fenêtre, dans un compartiment br fortement éclairé, une toute jeune fille qui posait sur moi un br regard fixe et grave. Nous nous examinâmes ainsi, br quelques instants, à travers la double épaisseur de vitres, sans br baisser les yeux ni sourire. Son visage, lisse et pâle, dont br aucun trait ne bougeait, avait une beauté de statue. br Soudain, d'une longue main aux ongles écarlates, elle br dégrafa son corsage, dénudant un sein menu, exquis, dont, de br l'index, elle désigna le bout rosé. br Nous restâmes ainsi, face à face, sans faire un geste ni br bouger un cil, moi médusé, elle toujours rêveuse et grave. br Enfin, avec un soupir, le convoi se remit en marche, et br aussitôt la jeune fille disparut, laissant place dans la nuit plus br noire à la persistance d'une troublante image, qui, depuis lors, br n'a cessé de me hanter.


User: Revue Souffles

Views: 4

Uploaded: 2016-02-23

Duration: 04:19

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